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Schlumpf.
cité de l'automobile - musée national - collection Schlumpf - Mulhouse
Les voitures ne m'ont jamais inspiré que de l'indifférence. Pour moi, une voiture, c'est un truc qui roule et qui m'emmène où je veux. Il paraît quand même que pour draguer c'est mieux d'en avoir une grosse, de rouler à découvert, décapoté. Les petits droguistes de la cité s'offrent des BMW, c'est le signe de la réussite, le trafic facilite grandement le trafic. Les radars, la pollution, les limitations, le coût du carburant ont largement contribué à ternir l'image de la voiture, à quoi bon vanter la puissance si c'est pour s'énerver dans les bouchons. Les « tout dans le manche » aiment faire ronfler le tigre caché sous le capot, puis le faire rugir devant des nanas bien carrossées. Il fallait à Cendrillon un carrosse pour avoir l'air d'une princesse, aujourd'hui le peuple à sa voiture qui ressemble à celle du voisin, les autoroutes ne sont finalement que des champs de citrouilles.
La visite du musée de l'automobile de Mulhouse m'a toutefois fort impressionné. La ligne de carrosserie ne naissait pas d’algorithmes mais du savoir faire et de l'ambition d'un carrossier. La collection expose des « objets » magnifiques et somptueux qui racontent toutes les passions des hommes, le luxe et la beauté, la puissance et l'euphorie, le confort et la sécurité, la sensualité subtile ou exubérante, le plaisir d'épater, la superbe organisée, structurée, recherchée jusque dans les moindres détails.
J'ai quand même eu quelques émotions automobiles. On avait une Rosalie Citroën, je me souviens qu'avec mes parents on allait à Bonsecours en Belgique, on priait un peu la vierge, on buvait une bière d'au-delà des frontières mais surtout il y avait une longue ligne droite après Valenciennes, mon père écrasait le champignon, le moteur vrombissait généreusement, ça vibrait un peu, toute la famille surveillait le compteur et enfin, dans un grand cri d'allégresse générale, on atteignait le 60 km/heure.
Mon oncle en avait une aussi mais cabriolet, et le coffre à l'arrière s'ouvrait, on pouvait s'y asseoir. Mon cousin et moi on s'y logeait quand la famille migrait pour quelques kilomètres.
A l'époque il n'y avait pas encore de filtre entre le réservoir d'essence et le carburateur, et régulièrement tout s'arrêtait. Mon père descendait, soulevait le monumental volet qui protégeait le moteur, démontait le carburateur en se brûlant les doigts, soufflait dedans pour enlever les poussières, remettait tout en place.
Nous, les gosses, on en profitait pour dormir un peu, car bien sûr ça arrivait toujours la nuit. Et quand on entendait le volet du capot claquer, on savait qu'on allait repartir, c'était toujours un grand soulagement, une satisfaction d'avoir échapper au pire. Mon père avait sauvé la situation. Et si en plus il pleuvait, c'est ma mère qui devait tourner à la main le balai de l'essuie glace. Il y avait à l'intérieur un petit moteur susceptible de faire fonctionner le balai, mais il devait être susceptible et n'aimait pas la pluie. Heureusement le constructeur avait prévu par-dessus un bouton qu'il suffisait de tourner à droite puis à gauche et le balai miraculeusement allait de droite à gauche. Ma mère faisait ça de la main gauche et de la main droite elle enlevait la buée sur le pare brise. Il y avait chez mes parents une belle complicité, en voiture tout au moins.
j'ai retrouvé sur Internet un modèle de Rosalie
qui ressemble assez bien à celle de mon enfance.
d'autres modèles sur ce lien qui renvoie au site.
Un jour ma mère a planté la Rosalie dans un fossé, elle avait dû freiner trop fort sur un petit chemin de terre. Le lendemain, j'ai mangé un peu trop de cerises, j'ai fait une occlusion intestinale. Le jour d'après, le frigo de la boucherie a rendu l'âme, rendant impropre à la vente la viande d'une semaine. Aujourd'hui la sécu aurait payé l'opération, les assurances auraient couvert l'accident et on aurait rapidement dépanné le frigo. On n'en était pas encore là, à l'époque. Job sur son tas de fumier n'était pas plus mal loti. Notre vie a donc été un peu bousculée.
Quand j'ai choisi de mettre en ligne cette photo, je ne savais vraiment pas ce que j'allais écrire. Panhard et Levassor - De Dion-Bouton - Bollée Tricar - Rolls Royce - Hispano Suiza - Bugatti « Grand Sport » Type 55 - Ferrari Type 250 GT - Lotus 33 - Bugatti Type 41 Royale - Jacquot à vapeur - Serpollet type H - Sage 24HP - Delahaye 135M, tout cela trottait dans ma tête ; chacun de ces « mots » évoquant à eux seuls des tas de rêves ou d'aventures, les traces d'une histoire et même de légendes. Je pensais m'inspirer des lignes esthétiques des carrosseries prestigieuses, des matières oubliées, bois précieux, lanternes, cuirs rares... Finalement c'est mon enfance qui refait surface, tout cela paraît si loin, suis-je donc devenu si vieux ?
PS : toute cette page t'es bien sûr dédiée, mon cher Jacques.
Dans les DNA d’aujourd’hui, toute une page sur la réouverture du musée, demain.
op 72 01/06/2020