• le boucher

     

    le boucher

     

     Le boucher - Mathias Goeritz -1956 - Paris : exposition au Grand palais consacrée aux peintres mexicains

     

     Architecte, artiste peintre, écrivain et sculpteur On trouve peu de renseignements sur Goeritz, il est souvent associé à Monasterio et Marin, mais je n'en sais guère davantage. En tout cas l'image est forte. D'inspiration précolombienne, un mélange d'abstraction et de violence, dans une logique des formes, des lignes et des volumes et en même temps une réflexion en coup de poing sur notre place dans l'univers et notre relation aux autres. Esthétique bien sûr mais aussi politique et social.

     

    Mon père était boucher ; du temps que je n'allais pas encore à l'école, je l'accompagnais le mardi à l'abattoir. Je l'ai vu tuer chaque semaine le bœuf que le village allait manger. J'ai même eu droit de monter sur la bête affalée et tirer sur la corde reliée à une patte pour la vider de son sang. Ce n'était pas n'importe quel bœuf, c'était le nôtre ; on l'avait choisi le dimanche précédent, dans les prés où le troupeau paissait fort paisiblement ; nous y allions en famille, en habits du dimanche, juste avant la messe. Mon père mettait la main sur la croupe de la bête, il disait « c'est celui-là » ; il disait « il pèse tant » et le maquignon donnait son prix ; à l'époque, on ne parlait pas de maquignon, on disait qu'on allait chez B*, l'éleveur de bestiaux, lui aussi était du village. Et le mardi on retrouvait notre bœuf à l'abattoir.

     

    Mon père tuait les bêtes avec respect, proprement. Il y avait une cinquantaine de mètres entre l'étable où étaient parqués les bœufs et le lieu d'abattage. Les bêtes n'aimaient pas du tout ce parcours, elles savaient ce qui les attendait ; je devais me réfugier derrière les grilles (au cas où) et je grimpais sur la murette et, sur la pointe des pieds, pour « voir » par dessus.

     

    Vous me pardonnerez ces quelques confidences, cette image du boucher de Goeritz n'a évidemment rien à voir avec ce que j'ai vécu dans mon enfance. Ce boucher là est un sacrificateur. Son couteau est d'obsidienne et il vient d'arracher le cœur d'un esclave ou d'un ennemi. Il ne nourrit pas les hommes mais alimente les dieux, les rassasie pour maintenir l'ordre du cosmos. S'il a forme humaine, l'est-il encore quand, dans le temple au sommet de la pyramide, il officie religieusement et que le sang ruisselle de degré en degré, remettant toutes choses à leur vraie place.

     

    Je n'avais d'abord vu que le tableau et tout y rappelle qu'on tue encore, comme autrefois, autrement certes, mais avec de « bonnes » raisons au-delà du raisonnable.

     

    Le titre « le boucher », en décalage prosaïque, pose question : Goeritz veut-il mettre l'accent sur la barbarie du carnage ? Ou bien réduire la fonction religieuse à un acte naturel ordinaire, il faut bien nourrir les dieux comme on nourrit les hommes ? Réaliste ou révolutionnaire ? Se nourrir exige des sacrifices et impose de se couvrir les mains de sang ; pour vivre il faut tuer.  Et pour survivre ... ?

    op. 62   -   22/05/2020