• Piéta Gdansk

    Piéta Gdansk

      Piéta – musée de Gdansk

     

     « ça m'émeut peu ! »

     

    L'émotion, je l'ai eue devant cette piéta en bois polychrome, issue d'un atelier de Gdansk, posée à quelques mètres du fameux Memling qui fait la réputation de ce musée et de la ville.

    Émerveillé par la qualité du travail, la finesse de la sculpture, la volupté du drapé de la robe, la chaleur des couleurs, la noblesse de l'attitude de la vierge, le réalisme sans outrance du cadavre, l'équilibre global de la scène. On ne passe pas devant cette piéta, on se pose là un moment.

     On y voit une mère recevant sur ses genoux son fils mort. Ce n'est pas un enfant mais un homme ; beau, grand, soigné, normalement il n'aurait pas dû mourir. Elle, encore bien jeune, reçoit ce « présent » sans grand tourment, la scène reste apparemment paisible, bien sûr elle laisse des larmes couler de ses paupières, mais sans dramatisation exagérée. Autour il n'y a rien, ni personne, ni Joseph ni Marie Madeleine, ni les soldats, pas de décor non plus. Tout est centré sur le silence douloureux de cette mère qui ne comprend rien à ce qui vient de se passer, sauf que maintenant il va falloir faire quelque chose de ce corps inerte ; tout est arrêté dans cet instant et elle peut encore retarder le moment où il faudra rendre à la nuit l'enfant qu'elle avait mis au jour.

     J'en ai fait une photo, photo souvenir, banale et photographiquement sans intérêt.

    Je viens de la reprendre pour en faire non un souvenir mais une œuvre personnelle.

     J'y suis revenu parce qu'à force de voir chaque jour des images de tous ces morts inutiles des guerres et des conflits qui embrasent actuellement notre monde, j'ai l'impression de les avoir sur mes genoux et ne pas savoir qu'en faire.

     le projet photographique :

    1 – recadrer

     D'abord redresser, il n'est pas simple ensuite  de choisir le bon format. J'ai d'abord opté pour un 16x9°, plus cinématographique. J'y voyais l'avantage de matérialiser la nuit du tombeau dans lequel on va nécessairement déposer le cadavre. En même temps garder un peu de lumière pour dire la volonté de ne pas s'y résoudre tout de suite et sauvegarder malgré tout une forme d'espoir.

     C'est pourquoi j'ai choisi de placer la scène à gauche de l'image pour avoir le temps de lecture vers la fin, à droite.

     2 -Le fond

     Tout noir évidemment, ça n'allait pas. J'ai essayé un vert sombre, mais ça n'allait pas non plus, j'ai essayé encore un dégradé de gauche à droite, mais c'était trop artificiel. J'ai essayé un halo lumineux, mais ça renvoyait au code le l'auréole, peu satisfaisant ici. J'ai été tenté de garder les jaunes et bleus de la rosace en écho à l'Ukraine, mais ça faisait trop « téléphoné ». La rosace ainsi, en noir et blanc, garde son ambivalence : le rêve d'un monde réorganisé glorieusement autour d'un Christ ressuscité perd tout son éclat. Dans ce moment avant la mise au tombeau, c'est le doute qui s'installe. « tout est achevé », sans qu'on sache si tout est vraiment fini ou si tout se déroule conformément aux écritures.

     

    Piéta Gdansk 

    Piéta Gdansk

    3 - La couleur 

     Ma photo de la piéta mettait trop en évidence les jaunes et je trouvais aussi qu'en photographie, centrée sur la scène « vécue », il n'était pas nécessaire de valoriser la couleur qui magnifie le bois de la sculpture. J'ai donc négligé les verts de la robe pour diminuer le contraste avec les couleurs chaudes et n'ai gardé que les touches orangées en meilleure relation avec la douleur intérieure.

    J'ai par contre tenté de rendre le côté cadavérique du Christ pour contraster la mort et le vivant.

     Il fallait par contre colorer le périzonium ; j'ai repris le vert en liaison symbolique avec la robe de Marie.

     Conclusion : ça vaut sans doute la peine d'aller à Gdansk !

     

     Pourquoi écrire tout ceci ?

     La première réaction que j'ai entendue devant ma photo « finie », c'est : « une piéta devant un bout de rosace, ça m'émeut peu ». Je n'avais d'abord pas envie « d'expliquer », mais après tout, pourquoi pas « expliquer ».

     Le résultat final ne me donne pas entière satisfaction, mais je suis arrivé au bout d'un processus : une rencontre au cours d'un voyage se poursuit dans la mémoire, se réactive à cause de l'actualité, oblige à recherche et réflexion et sur l'état du monde et sur la recherche de sens, invite à formuler quelque chose qui dit l'inquiétude, un peu de désarroi, l'impuissance devant l'effroi, le refus des choses comme elles sont, l'espoir bien confus que cela changera, mais en quoi ? Et comment dire tout cela... ?

     

    PS

     On trouve d'autres piéta du même genre ou de la même facture sur internet ; il devait y avoir plusieurs ateliers en Pologne à l'époque (XIV-XV°) mais elles sont beaucoup plus dramatisées, avec l'accent mis sur la douleur, les plaies, et ainsi elles sont plus anecdotiques, racontent le tragique d'un événement, invitent à partager l'émotion de circonstance et sont donc plus « superficielles ». cette piéta de Gdansk est plus tournée vers l'intériorité, sa forme est moins agressive et si elle suscite d'abord l’admiration pour la qualité esthétique de l’œuvre, elle encourage à partager la douloureuse méditation d'une mère devant mettre au tombeau le fils qu'elle a mis au monde.

     27/07/2022

     

    la photo "souvenir"

    Piéta Gdansk