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Claude BATHO la balançoire
Claude BATHO
Héry, Août 1980
publication avec l'aimable autorisation de Madeleine Millot-Durrenberger. Les photos de Claude Batho, extraites de la collection de Madeleine ont été exposées à la galerie In Extremis, à Strasbourg en mars 2014
Sur une prairie en pente douce, une clôture de bocage : piquets, buisson, fil de fer, dessine une limite sinueuse ascendante. Au-delà, la brume blanchit des arbres.
Une planche de balançoire, suspendue à deux chaines dont on ne connait pas les attaches, réfléchit la lumière.
La composition horizontale met en évidence la balançoire située sur le point fort ; l’image s’ouvre vers la droite sans se fermer, grâce à cette dynamique de lecture renforcée par la ligne de clôture et l’angle de la planche de balançoire.; elle s’ouvre dans la profondeur du sombre et précis au premier plan au clair évanescent de l’arrière plan du fond ; elle s’ouvre vers le haut par l’invitation des 2 chaines à imaginer leur accroche.
La balançoire, bien contrastée, bénéficie d’une parfaite netteté et se détache avec précision du décor et de son environnement.
C’est une impression de vide qui se dégage à partir des éléments manquants. Pas de maison proche d’où proviendraient les bruits familiers, pas d’enfants sur cette planche au repos, pas de parents pour pousser joyeusement les enfants. Le silence règne que peuplent les souvenirs ; eux aussi se perdent dans la brume.
Cette planche est aussi miroir du ciel, sans autre réalité que la pure lumière. Possible échappée ?
Cette balançoire me rappelle un plan du « bois de bouleaux » de Wajda. Un homme atteint de tuberculose sait qu’il va mourir et s’est retiré dans la campagne. Dans ce plan une petite fille promène un bâton sur une palissade de bois aux piquets légèrement espacés : «tac-tac-tac-tac» ; la caméra glisse sur une balançoire, abandonnée, mais qui a gardé un léger mouvement de balancier, pendant que continue le « tic-tac » du bâton sur les piquets. Au cinéma le temps d'inscrit dans la durée mesurable ; en photographie, comme ici, le temps s’est arrêté.
Impossible de savoir s’il y a des regrets ; il s’agit de photographie et pas de dissertation métaphysique. On ne saura jamais si Claude Batho y projetait ses regrets d’enfance ou si elle rêvait d’un ascenseur pour le ciel :
« Mais la demoiselle sur la balançoire
Riait, riait et montait de plus belle
Elle était belle et j'ai pu la voir
Qui s'envolait pour toujours dans le ciel... »Y. Montand une demoiselle sur une balançoire
La thématique de la balançoire a été très largement traitée depuis très longtemps. On peut rappeler l'escarpolette de Fragonard. Mais le traitement se généralise sur 2 axes bien particuliers :
soit on s'intéresse à ce qui se trouve sur la balançoire
soit on développe l'envie de "s'envoyer en l'air"
Vous en trouverez de nombreux et même de très beaux exemples sur Google.
Mais si on compare la photo de Claude Batho aux productions photographiques que la thématique de la balançoire a inspirées, On mesure mieux la sobriété de cette photo et combien l’économie de moyens contribue à sa richesse
La photo est un medium : un « moyen ». L’ambigüité du mot me plait bien, il suggère que ça peut servir et que c’est un intermédiaire. Le lecteur a toute liberté pour aller plus loin.
Michel WITASSE.