Avenir radieux

Jean-Michel MERTZ

Cette photo a suscité un commentaire de Pierre :

Dans notre lecture occidentale de l'image, de gauche vers la droite, l'avenir, le progrès, ce qui avance va vers la droite (n'y voyez aucune connotation politique... :=) et le passé, la régression, ce qui recule va vers la gauche. Je n'arrive personnellement pas à me projeter vers l'avenir en regardant un cycliste qui se dirige, allez disons pour ne heurter personne, dans le sens contraire de lecture de l'image.
Partagez-vous le même tropisme que moi ?
Je me rappelle, il y a qques années, j'avais assisté à la présentation du nouveau logo d'une société : un oiseau qui prenait son envol. Le seul problème est qu'il s'envolait vers la gauche et cette image me mettait inconsciemment mal à l'aise : j'étais écartelé entre le message d'espoir que me transmettait mes yeux (l'envol) et mon système de représentation (vers le passé).

Et une réponse de Jean-Michel

Je connais ce tropisme gauche / droite qui serait le résultat de l'orientation du sens de la lecture. Pour ce qui me concerne, je ne ressens aucun malaise à la vue d'une action visant le côté gauche d'une image. Je constate que les peintures rupestres (Lascaux, etc.) présentent des personnages qui se dirigent vers la gauche dans le cadre de leur activité de chasse, par exemple. Les fresques murales romaines également, les gens représentés regardent à gauche, à droite, indifféremment. Je ne suis pas un spécialiste de ces périodes mais j'ai comme l'impression que l'orientation de la tête d'un côté ou de l'autre de l'image n'est pas significatif. Sur les pièces de monnaie "République Française", Marianne regarde ... vers la gauche! Et sur les timbres, cette même figure nationale regarde à gauche ou à droite, selon les graveurs et les éditions. Je pense qu'il s'agit là d'impressions personnelles. Je pense aussi que les sémiologues érigent en règle générale ce qui relève souvent du personnel. On pourrait aussi dire qu'un personnage se dirigeant vers la gauche entre dans une dynamique qui l'entraîne dans la recherche de son passé, de ses sources, de qui il est, etc. Le passé n'a aucune connotation négative pour moi! Merci, Pierre, d'avoir entamé cette discussion très intéressante!

Il me semble  nécessaire d’approfondir un peu l’analyse si on ne veut pas se contenter de caricature de jugement, ou de clichés (littéraires cette fois).

L’image de Jean-Michel présente l’avant d’un bateau sur lequel le lecteur semble embarqué.

Je ne crois pas me tromper en rappelant que dans la symbolique pratiquement universelle le fleuve représente le cours du temps qui façonne les destins auquel nul ne peut échapper. Le bateau lui est bien sûr l’entité (individu- groupe- nation) qui joue son destin ou le subit. Difficile d’échapper au courant, les rives sont des limites, mais l’avenir est bien en haut à droite. Il y a une perspective claire de bas en haut, de gauche à droite.

Ce serait évidemment ainsi une photo banale.

Jean-Michel  nous donne à voir ce moment où le fleuve est traversé par un pont.

 Les rives ne sont plus des barrières ni des obstacles, le pont ouvre un espace de liberté dans le plan horizontal. Et les cables qui le soutiennent sont dans une dynamique gauche droite montante.  Le soleil est à droite ce que montrera l’ombre du cycliste.

L’apparition du cycliste est absolument extraordinaire : Il s’agit d’un individu identifiable comme tel (et non pas d’une entité symbolique comme le bateau.) Il va vers la gauche et c’est magnifique, il a décidé d’être à contre courant de tout, il n’emprunte pas les voies navigables du destin ordinaire de l’humanité, il ne se dirige pas vers le soleil. Il se construit son avenir en toute liberté. Et toute son attitude semble dire qu’il le fait d’un cœur léger et insouciant. Son ombre est devant lui en aucun cas menaçante :  il  la promène en la surveillant.

Que dire du traitement que Jean-Michel impose à ses clichés. Il aime les contrastes lourds, Le noir et blanc est un choix  résolu. Les critiques ont tendance à dire « moi, j’aurais fait autrement… » ce qui est une chance pour Jean-Michel, au moins on reconnait son style. La constante dans ces choix est significative d’une volonté libertaire affranchie des tropismes ordinaires. On ne peut que se réjouir d’oser la créativité. D’autant qu’elle est chargée de sens : l’ange exterminateur renvoie dans les ténèbres tout ce qu’il juge ne pas mériter l’existence.. ce serait même la sublimation de la démiurgie. Chapeau l’artiste !

Je me pose la question du bord en rognure pas franche, un cadre qui ne se veut pas une bordure, comme pour indiquer que l’image pourrait se continuer, mais que ça suffit ainsi.  Pourquoi pas, mais pour moi c’était déjà évident.

Jean-Michel remet en cause la lecture occidentale, mais je ne trouve pas ses arguments convaincants.

Les regards vers la droite sont optimistes et rassurants.

On peut toujours dire que les regards vers la gauche sont des erreurs, mais on peut trouver d'autres justifications, les cheveux flottent dans le vent, ce sont les mots qui sont mis en valeur.

Le profil à la couronne de laurier rappelle les monnaies de César  ou d’autres, c’est la victoire qui est mise en valeur, peu importe la gauche ou la droite et de toute façon sur une monnaie ou sur un timbre il n’y a pas d’espace ni devant ni derrière.

Mais on peut trouver d’autres références, la liberté guidant le peuple (Delacroix) se retourne vers le peuple pour mieux l’entrainer. Suivez-nous... disent les Libertés d'aujourd'hui (sans drapeau, sans armes, et sans chemise...)

S'agit-il d'Inna Shevchenko, chef de file du mouvement féministe Femen ? 

(Polémique sur http://www.metronews.fr/info/le-nouveau-timbre-marianne-inspire-de-la-femen-inna-shevchenko-cree-la-polemique/mmgo!v9MHkCJCQEOjY/ )

Michel WItasse 12 juillet 2014