• Narcisse

    Narcisse

     

    Quand j’ai vu dans la brume cet au-delà de la rive, j’ai tout de suite su  que j’en ferais une toile de fond comme pour un décor de théâtre. Je l’ai traité ainsi pour lui donner ce côté irréel et plutôt évocation d’un lieu repensé, cadre d’une action qui va peut-être se dérouler si la représentation commence. Que peut-il se passer dans ce contexte de nature au bord d’une rivière paisible dans un temps indéfinissable, ni jour ni nuit, ni couleur ni noir et blanc.

    J’y ai installé ce Narcisse1 Je trouvais que la blancheur du marbre lui donnait le droit d’exister là.

    Il est trop beau pour être vrai, il est trop beau : impossible de saisir son image voilà sa souffrance et son désespoir. Tout se lamente autour de lui. La déesse de la juste colère et de la rétribution céleste a fait son œuvre, l’écho répète à l’infini son chagrin, et les eaux de l’Ill recueillent les larmes des naïades.

    Ce Narcisse est l’ancêtre infortuné des photographes amoureux de leur image, désespérés de ne pouvoir fixer la beauté qu’ils observent, incapables de se satisfaire de traductions décevantes, pire incomprises.

     

     

    1 - Adolf von Hildebrandt Jeune Pâtre endormi, marbre (1874-1873), Alte Nationalgalerie de Berlin