• Intérieur rustique.

     

     

    Intérieur rustique.

    Intérieur rustique - Musée de Bayonne                          

     

     

     

    ça me rappelait la maison de mes grands-parents. Les poutres attaquées mais solides, le mur badigeonné et jamais rafraîchi, le mobilier rare ; mais il y avait le portrait de ma grand mère et celui de mon grand père. Ici il n'y a plus que la « vieille ». Qu'est devenu l'homme, le mari, le père ?

     

    Elle, elle fait face ; elle connaît le dur labeur du quotidien, la charge de la famille, l'entretien de la maison, les cancans du village, les dommages de la guerre, le rythme des saisons.

     

    Ma grand mère était un peu comme ça : une grincheuse réaliste, les deux pieds bien sur terre, jamais à se plaindre, trimant tant qu'il le fallait. Elle n'engueulait que mon grand père, ça couvrait le bruit de la vieille radio et les commentateurs de matchs de foot. « tu fumes trop...tu bois trop... » et le bouchon claquait sur le goulot pour en rendre l'ouverture plus difficile. J'aimais bien cette voix lointaine improbable décrivant à toute vitesse et avec tant de variété dans le récit que l'on « voyait » l'action se dérouler, et ça se mélangeait aux grommellements bougonneux de ma grand mère. J'en ai encore la musique dans les oreilles. Mon grand père plaisantait de tout, il appelait les récriminations de ma grand mère les « informations ». ça commençait à 7h le matin quand il allait boire son genièvre au bistrot : « ah, les informations de 7h » c'était drôle, à cause du rituel immuable. C'était même rassurant, c'était comme ça, ça ne changerait pas, ça ne pouvait pas changer, on n'avait même pas l'idée que ça pouvait changer, on vivait ainsi, pas vraiment résignés, pas vraiment indignés non plus.

     

    Tout le village vivait de la fabrique de caramel, dont le parfum se répandait tout alentour. Ça sentait fort mais très bon. Les caramels mous du professeur Tournesol, à n'en pas douter, aujourd'hui les bonbons Lutti (les meilleurs au monde). Il suffisait à mon grand père d'attraper un accordéon, même un jouet, et tout le village dansait. Il a « fait les deux guerres », il a eu le pied écrasé par une charge mal accrochée à un pont roulant mais il n'évoquait ces souvenirs qu'avec un rictus au coin de la lèvre, sans autre confidence, sans plainte aucune. Il partait tailler les arbres avec un godenet (un quignon de pain creusé pour y entasser le fromage et de quoi vivre jusqu'au soir. On l'appelait ainsi : Godenet, un surnom qui en fait voulait seulement dire « l'homme heureux ». Il ne s'est jamais fâché avec qui que ce soit et à son enterrement, ils ont été étonnés de tous se retrouver là, tous ceux qui ne pouvaient plus se parler depuis longtemps, tous ceux qui s'évitaient pour des fâcheries d'ailleurs oubliées, un bel hommage, une belle leçon.

     

    Aujourd'hui dans le village, les gaz brûlés ont remplacé l'odeur de caramel, le bistrot est fermé, on ne taille plus les arbres devenus trop vieux, on n'en cueillait d'ailleurs plus les fruits  depuis longtemps, les vieux ne sont plus assis devant leur porte, à fumer tranquillement, à causer du bon vieux temps, à regarder passer une jeunesse à vélo, ils attendent de mourir dans un éphad.

     po.69     29/05/2020