La pieuvre

La Pieuvre

STRASBOURG                  

Musée de l'œuvre Notre Dame                

Escalier en vis - 1578 - Hans - Thoman Ulhberger               

On montrait dans les foires des individus ou des animaux dont les propriétés anatomiques les faisaient plutôt ressembler à des monstres. On payait pour les voir, on s'effrayait sans risque, on frissonnait quand même.

La photographie aussi parfois préfère les monstres.

 L'Escalier en vis de Thoman Ulhberger est une merveille d'élégance. La double rampe hélicoïdale danse autour du vide. C'est admirable de virtuosité. Le grès ainsi taillé emprunte la légèreté du végétal. C'est flamboyant. On ne peut monter les marches qu'allègrement.

 Pourquoi en ai-je fait cette tentacule perfide et repoussante ? Par goût du monstrueux, sans doute.

Les escaliers ne sont normalement que des lieux de passage, je les trouve pourtant propices à la réflexion, ils vous envoient vers un autre niveau, vers un au-delà...Il faut cet étroit passage de la salle basse à la grande nef de la sainte Chapelle, pour jubiler d'extase. Mais souvent, les escaliers en vis n'en finissent pas qui conduisent vers les cloches des cathédrales, les tours de guet, les donjons interminables.

 Pourquoi en ai-je fait cette pieuvre inquiétante ? Par vengeance encore, sans aucun doute. Pour les souffrances endurées, dans le froid, les courants d'air, l’obscurité, la sueur qui vous coule du front, l'attente impatiente de la dernière marche qui précède hélas encore un autre escalier, et le piétinement des touristes (surtout les gros qui n'en peuvent plus) et pire encore ce genou qui rebute à l'effort et laisse poindre insidieusement le découragement.

 La vérité est peut-être plus obscure. Elle se niche dans les arcanes du cerveau et de l'imaginaire, là où la pensée se perd en voulant s'élever, et finalement escargotte et colimaçonne, tel le vieillard de Rembrandt sous son escalier en spirale d'une volée.

 Les centaures (1) foulent l'hydre et le stellion et les chevaux d'Hippolyte (2) s'épouvantent à l'approche du dragon impétueux aux replis tortueux. « la peur les précipite ».

Que trouve-t-on au bord du précipice ? Que trouve-t-on au fond du gouffre, au plus profond des enfers ? Que trouve-ton en dégringolant au bas de l'escalier ?

(1) Hérédia - Les Trophées - fuite de Centaures

(2) Racine - Phèdre -- acte V,6 - récit de Théramène