• Le ton monte

    Le ton monte !

    Le ton monte

     

    Photographie : Michel Witasse 2016  - Riegel, Mesmer Museum - Tableau de Jean-Pierre VIOT

     

    Pour une fois, je n'ai rien trafiqué sur cette image, tout est conforme à la réalité, Seul le cadrage indique un choix de montrer ce que je veux faire voir de la réalité ; un format traditionnel aurait fait perdre un peu de ce mur droit qui laisse penser que ce tableau n'est évidemment pas le seul de ce musée ; et surtout cela évite d'avoir une confrontation égale d'espace entre la porte (et ce qu'elle découvre de l'extérieur) et l'espace propre au tableau.

     

    Ce qui m'a séduit immédiatement c'est cette chaise placée devant une issue de secours et qui reprend dans sa forme l'indication d'un panneau routier de sens interdit. Contradiction qui est reprise dans les couleurs, vert pour l'invitation à sortir, rouge pour l'interdiction de passer.

     Je lis tout cela comme une volonté d'exclusion de l'extérieur, ce qui compte c'est ce qui est dedans, et on ne s'en échappera pas sinon en cas d'incendie.

     Ce qui est à l'extérieur, c'est ce couple, idéalisé par la sculpture, d'un homme et d'une femme. L'homme (plutôt que « un » homme) réduit à sa bestialité de minotaure et la femme épanouie en calice floral ; toute une mythologie de la nature et de la vie, avec tous les symboles et les références que l'on connaît qui font la richesse et l'histoire de notre civilisation.

     À l'intérieur, on est abstrait, minimaliste, constructiviste. On compose en fonction de la ligne, de l'espace et de la couleur, sans se préoccuper d'autre chose que de la jouissance esthétique pure.

     Trois lignes sur le tableau de Viot, trois courbes plutôt (une obsession chez Viot) on les retrouve souvent dans son œuvre dans des combinaisons variées, comme pour chercher la meilleure dynamique ou le meilleur équilibre. Trois courbes combinées à une droite verticale de couleur ; le tout sur une toile carrée (la terre?).

      Le premier commentaire qui me soit venu de la contemplation méditative de cette photo (j'ai aussi besoin de comprendre ce que j'ai fait pour tenter de savoir pourquoi je l'ai fait) c'est :

     

     Les courbes s'embrasent

     fébrilement.

     Le ton monte.

     

     Ce texte m'avait évidemment échappé lui-aussi. Sa compréhension littérale ne pose pas de problème mais pourquoi ne pas démonter tout le processus qui a permis cette éclosion littéraire ?

     Le point de départ c'est un détail auquel je n'avais tout d'abord guère prêté attention : le point rouge du thermomètre placé sur le montant droit de la porte, il a imposé le « fébrilement ».

     « les courbes s'embrasent » est le résultat d'un petit jeu qui reprend le travail d'abstraction symbolique qu'on trouve et dans la sculpture et dans le tableau ; c'est en décalage poétique de la formulation prosaïque « les couples s'embrassent », qui est suggéré non seulement par les sculptures invitant à la ré-génération, mais aussi par les trois courbes du tableau de Viot, courbes féminines évidemment, trois comme les Grâces, disposées à séduire cette verticale pénétrante.

     Le ton monte dès lors entre le concret et l'abstrait, le réel et l'imaginaire. L'ordinaire banal du quotidien : des murs, des meubles, des panneaux de sécurité, le sol, une rambarde de balcon, une porte avec des clinches, et l'exceptionnel, le travail artistique démiurgique. C'est la guerre entre le passé rejeté à l'extérieur et le contemporain valorisé à l'intérieur d'un musée.

     Mais il faut lire le tout comme une photographie qui, pour moi, est tout sauf la reproduction du réel, ou si elle le reproduit elle le charge de sens par les moyens qu'elle utilise.

     La composition met en vitrine les sculptures sans limiter le champ.

     La couleur valorise le banal, la chaise monte le ton dans les rouges et prend ainsi sa revanche. Mais c'est la couleur qui importe, pas l'objet ; et il faut encore l'associer au vert du panneau et au bleu du tableau ; trois couleurs (trois courbes ré-génératrices) avec lesquelles tout est possible, même refaire le monde.

     Tous les contraires se réconcilient, les tensions s'apaisent, les oppositions s'équilibrent. Ne rien exclure, mais combiner. Tout un programme mais pas seulement photographique,

     

    La photographie est bien un art de vivre.