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Rodrigue
Tête d'homme percée d'une flèche - Saverne
« Percé jusques au fond du cœur d'une atteinte imprévue aussi bien que mortelle, misérable vengeur d'une juste querelle, et malheureux objet d'une injuste rigueur, je demeure immobile, et mon âme abattue cède au coup qui me tue. »
Je l'ai tout de suite appelée Rodrigue. Aucun rapport pourtant entre cette statue ancienne au château de Saverne et le Cid de Corneille. Mais cette tête transpercée d'une flèche m'a rappelé les quelques vers d'une douloureuse méditation précédant de terribles décisions. La statue est tout à fait réaliste, mais le visage dit plutôt la stupeur que la douleur, l'arrêt brutal du présent, l'incompréhension devant l'absurde nécessité fixée par un étrange destin. Il est beau ce jeune homme, la chevelure est soignée et la barbe fleurie, il ne mourra ni de vieillesse ni de maladie, il a été tué par un autre homme. On ne sait ni où, ni qui, ni comment, ni même pourquoi ? On ne sait rien du criminel : son frère avide de lentilles, un ennemi, un jaloux ? Un accident de chasse ? Les journaux n'en ont pas parlé. Il a sans doute laissé une femme et des enfants, un père inconsolable, une mère désemparée.
On ne sait rien non plus de la victime, sauf qu'il est jeune et beau. Où a-t-il pu se faire surprendre ? Sûrement pas à Nantes ou à Bordeaux. Ce pourrait être un soldat romain, mort en héros, au combat. Sculptée sans doute au XVIII°, néoclassique, c'est possible. La tendance actuelle qui remue le monde n'hésiterait pas à en faire un aventurier parti au loin chercher fortune ; ou pire, parti de Nantes ou de Bordeaux sur un navire négrier, pour profiter du commerce triangulaire.
La question reste : Histoire ou histoire ? et comment vivre avec ça ?
Op. 96 25/06/2020