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Nana
Nana
Manet - 1877 - Hambourg
Elle est entrée dans le cadre, cette visiteuse fascinée. Quel est l'objet de cette fascination ? Je me suis longtemps posé la question.
- Manet : une Signature. Pour sûr, on est là pour ça.
- Le tableau : le jeu subtil des couleurs, la composition, les oppositions, le manège des regards. Évidemment.
- L'allusion à la frivolité, aux désordres grandioses de l'époque, déguster par exemple, au café anglais, le potage Germiny, spécialement conçu à l'oseille pour ce gouverneur de la banque de France ; y réserver un salon particulier où les mondaines se payaient les princes. Pourquoi pas.
- Nana, et non Henriette Hauser dont c'est pourtant le portrait. Nana qui résume à elle seule Henriette, mais aussi Blanche D'Antigny, Marie Ernestine, à qui on pardonnait la médiocre comédienne, elle avait tellement d'autres atouts ; et encore Hortense Schneider, « La belle Hélène », un Rubens sur pied ; ou Delphine de Lizy, dont le musée Carnavalet garde la photographie ; sans oublier Anna Deslions, une sacrée plumeuse de riches, tout comme Cora Pearl. Dans ce monde là, Monsieur, on chasse, on rêve, on séduit, on flambe, on exulte, on jouit ; on se fait voir, on soutient une réputation, on se hausse, on se gausse, on gagne. Bref on vit. Parfois, c'est vrai, ça finit mal.
Finalement je me suis interrogé sur ma propre fascination, pourquoi avoir saisi ce moment ? Pourquoi avoir supprimé le cadre du tableau ?
Cela m'avait échappé et c'est pourtant une évidence : la chevelure de la visiteuse fascinée présente une étrange ressemblance avec la chevelure de cette Henriette-Nana.
Et je me suis surpris à imaginer qu'Henriette était revenue voir son portrait. L'Henriette du tableau ne s'y trompe pas d'ailleurs, elle se reconnaît aussi. Et ne trouvez-vous pas que le regard de l'aristocrate chapeauté a changé la destination de sa concupiscence ? Je suis sûr qu'il préfère Henriette en chair et en os plutôt qu'en peinture.
J'en conclus qu'on ne voit pas tout à fait les mêmes choses avec un appareil photo.