• Laetitiaire

     

    Voila bien une une image laetitiaire : un hymne à la joie, une ode jubilatoire remplie d'allégresse et de charme. Une parfaite image facebookienne, à elle seule un livre de faces, pour un profil insondable. Livrée à la contemplation, une œuvre de «moi», du «moi», une œuvre en soi. Une image trinitaire : le reflet du dédoublement. L'art contemporain propose des tableaux ouverts dans lesquels le visiteur se plonge inventant ainsi des combinaisons au potentiel infini de subtiles variations. Les reflets s'y prolongent, s'y désagrègent, se recomposent au gré des mots qui se disent et des silences qui se pèsent. Elle portait les trois couleurs qui permettent au photographe de refaire le monde, c'est ainsi que commence l'histoire, une rencontre fortuite et hasardeuse ; la suite s'écrira dans l'ombre des désirs.

    Laetitiaire

     

    Raymond Rapp Z'auraient pu accrocher l'oeuvre horizontalement, car là il y a deux points de fuite à gauche.
    Non, je ne parle pas des filles quand j'évoque des points de fuite !

    Réponse à Raymond

     

    Bien vu, mon cher Raymond, mais il faut en tirer les conclusions. Cette photo participe de plusieurs univers : homme/femme, mathématique/poésie, rêve/didactique, Strasbourg/Rennes, beauté épanouie/désespoir de l'âge... Leur fusion ne se fait pas sans confusion. Et pourquoi faudrait-il que cela se fasse selon les lois (pas si immuables que ça) de la perspective classique d'une architecture démodée ? La multiplicité des fuites dit la difficulté de la rencontre et du partage mais aussi la liberté des points de vue. Si cela choque ton regard, je te souhaite d'y mettre plus de jubilation que de regret.

     

    Quand j'ai arrêté mon travail sur cette photo, j'ai pu en déduire mon projet. Non pas que le projet soit postérieur à la réalisation, mais seulement sa consciente clarification. L'instant décisif est jouissif dans sa fulgurance mais il est décevant dans son exceptionnelle solitude, étonnant certes mais il reste pour moi un instant damné . En redoublant les approches, on s'intéresse moins à l'instant qu'à la durée, on dilate l'espace mais on entre dans une histoire qui peut commencer, comme celle d'une rencontre entre un homme et une femme, en un endroit qu'on n'imaginait pas et surtout avec un avenir improbable mais possible, l'aventure peut éventuellement commencer, l'avenir est à son aurore, le temps n'est pas figé, il est en découverte.

     

    C'est à l'ombre que naissent les désirs, dans les secrets de l'inconscient, dans les mystères du vouloir vivre (autrement). Les musées sont le lieu de la contemplation, mais surtout de la contemplation de soi, tel qu'on ne s'est encore jamais regardé. Photographier quelqu'un c'est aussi le regarder comme il ne s'est encore jamais vu. Et voilà nos univers qui se mélangent encore, dans des visions réfléchissantes où les reflets s'inventent leurs histoires.

     

    Quand je pense, Raymond, que je t'écris tout ceci, dans la nuit, et d'un seul œil (un chirurgien a bandé l'autre), je me demande si je suis vraiment lucide.