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C'est écrit !
Un pape - Musée de l'Oeuvre Notre Dame - Strasbourg
J'ai cherché une image pascale . Je l'ai trouvée au musée de l'Oeuvre Notre Dame. Non, ce n'est pas un Christ rédempteur. J'aurais aimé la rencontre avec Marie-Madeleine qui le prend pour le jardinier, elle veut le toucher, mais lui ne veut pas : « noli me tangere ». La rupture est consommée, on est passé dans une autre histoire. Je sais que j'en avais photographié une quelque part, mais où ? Vaine recherche, vous connaissez ça aussi sans doute.
J'ai choisi la photo d'un pape, crossé, tiaré, ecclésiastiquement accoutré à la mode vaticane. Il ne bénit pas, il n'élève ni les bras ni la voix urbi et orbi, mais il a un regard tendre, un peu voilé, intériorisé, vers le livre qu'il tient dans la main droite.
Je n'ai retenu que cette main gantée sortant de la chasuble, religieusement ouverte comme un lutrin, inlassable servante de la parole de Dieu.
Dans la main d'un pape, on peut penser qu'il s'agit d'une bible, là où s'est écrit l'histoire du pacte, de l'alliance de Dieu avec les hommes. Avec Pâques, on passe de l'ancien au nouveau testament. Rien ne sera plus jamais comme avant puisqu'on sait maintenant que la mort est vaincue. Dieu a tenu le contrat, il a envoyé un Sauveur. « Mort, où est ta victoire ? » On se pose aujourd'hui cruellement la question, vu qu'elle remporte encore des batailles et que l'on peut compter chaque soir, rigoureusement et statistiquement, le nombre des victimes.
Le Livre donc, où s'écrit la Parole, le Verbe. Sur le « liber » le phloème, le tissu conducteur de la sève élaborée, entre l'écorce et le bois, on peut graver des mots, tracer la pensée, figer la mémoire. C'est écrit, c'était écrit. On n'échappe pas à son destin.
Et pourtant « Liber » c'est aussi l'affranchi, libéré de l'esclavage, l'homme libre. Le livre vous livre au destin et vous rend libre. Faut s'arranger avec ça, débrouillez-vous !
On a du mal d'ailleurs ces temps-ci avec le livre et donc aussi avec la parole. La bible dit : « le Verbe s'est fait chair », aujourd'hui le verbe n'est pratiquement plus que virtuel, réduit à sa plus simple expression, quand ce n'est pas au slogan publicitaire, à l'invective implacable. La nuance ne fait pas le buzz, on like le fake, on ne pense pas, on aboie.
Je me plais à penser que ce pape est Gerbert d'Aurillac devenu pape sous le nom de Sylvestre II, pape de l'an Mille, philosophe, mathématicien et même mécanicien. C'est peu probable, à cause du livre justement, mais il fut pape à un moment de l'histoire où on craignait tant la fin du monde qu'on a vu se bouleverser les comportements politiques et sociaux. Écolâtre de Reims, il fut le précepteur d'Otton III qui rêvait de réunir en un seul empire tous les peuples chrétiens d'occident. En quelque sorte, le premier désir d'Europe porté par des intellectuels influents et des puissants responsables. Ça n'a pas marché et on dirait qu'aujourd'hui c'est encore compliqué : c'est Pâques, d'accord, mais c'est pas une raison pour nous poser des lapins.
12/04/2020