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Baptême
Baptême
Etienne Qoirin
(Imagora-Photo)
Quelle est belle et sympathique, cette image d’un vieil homme qui tient à bout de bras un enfant nu ! Ce vieil homme a le visage simple et franc, et l’admiration pour l’enfant qui se lit sur son sourire dit son amour de la vie, la confiance en l’humanité et sans doute aussi la foi qui l’anime.
Il porte des vêtements liturgiques, la cuvette au premier plan a servi au baptême, le parrain en costume cravate porte la bougie, signe que l’enfant sera un enfant de lumière, il participera de la mort et de la résurrection du Christ.
L’enfant évidemment ne sait pas trop bien ce qui vient de lui arriver, il s’essuie seulement les yeux du trop plein d’eau qui ruisselle encore sur son visage. On ne lui a pas demandé son avis, pas encore, mais par ce sacrement on le fait entrer dans la communauté. On l’a trempé, on le mouille, on le met dans le bain. Le voici objet de fraternité ; il sera solidaire. Bien sûr il fera ce qu’il veut de sa vie, mais pour le moment on l’accepte parmi les siens, on veillera sur lui, on lui donnera une bonne éducation, des valeurs, des règles de vie et une espérance d’éternité, ce qui n’est pas rien (les marchands à Noël se chargeront du reste). On lui annonce déjà que l’essentiel c’est l’amour du prochain et à ce petit, tout ce monde là lui en donne en veux-tu en voilà.
En fait ce petit, ce doit être une fille, vu le titre de la photo :
Julia et Clara 19 septembre 2009
L’enfant a reçu un prénom qui invite un des anges à veiller tout spécialement sur lui, et une date qui confère à cette photo un statut bien spécial, une sorte de certificat attestant de l’événement avec le devoir de commémorer ce point de départ spécifique de l’existence comme un mythe fondateur.
Elle n’est donc pas seulement une photo de famille ni un souvenir d’enfance pour Julia (ou Clara) c’est un document d’histoire, une archive sociologique, c’est un psaume, un cantique, un prologue de légende. On imagine le plaisir de la voir tomber du livre où on a tenté de la préserver.
On pourrait évidement en rester là, considérer que le traitement « vieille photo », faux Noir et Blanc légèrement sépia, convient particulièrement à ce document. On peut même pardonner les noirs un peu bouchés, le visage informe du parrain, la bougie hélas un peu penchée, la trop grande distance entre l’eau du bain et le bébé.
On peut aussi se demander ce que serait la photo si on s’autorisait à la refaire non pour l’événement mais pour l’esthétique photographique, sans altérer le message, ça va de soi.
Je m’y suis essayé…
J’ai éliminé le parrain, et j’ai d’abord gardé la bougie (pour le symbole) tout en la déplaçant, en lui donnant moins de valeur et en la redressant. J’ai aussi remonté la cuvette et donc recadré pour obtenir cette composition en X
Je me suis finalement décidé à supprimer la bougie, dont l’appel de clarté créait, à mon avis, diversion. Il me semble que du coup les linges (ceux de la cuvette, la manche de l’aube) prennent plus de valeur et y gagne en sens. Ils gardent leur présence physique, leur réalité matérielle, qui se développe sous la lumière qui les caresse, et leur signification spirituelle : l’immersion dans la vie, dans la mort, dans la communauté, la nécessité de se laver le corps pour se purifier l’âme, bref un baptême.
Il me semble aussi qu’on s’intéresse davantage aux mains, un peu maladroite chez l‘enfant, rassurantes et protectrices chez le vieil homme.
Est-ce encore la photo d’Etienne ? Il a toute liberté de faire ses photos comme il l’entend. Je crois avoir aussi toute liberté pour dire comment je la vois ou comment je préfèrerais la voir. Je revencique pour le photographe la liberté de refaire le monde selon ses envies, ses rêves ou selon ses critères esthétiques. Nous aurons sûrement là-dessus un échange qui ne manquera pas d’intérêt.
Michel Witasse
04/02/2016