• Hôpital - Intérieur - Nuit

    Hôpital - Intérieur - Nuit

    Hôpital - Intérieur - Nuit

     

    L’ombre des volets projette sur le mur des horizons indécis.

    O nuit, ton silence est profond.

    L’instant suit l’instant, identique à l’instant.

    Séquence plan fixe, immobile, immuable. Contemplation obsédante et tranquille.

     Comme un veilleur attend l’aurore…mon âme attend… des profondeurs, je crie…

    Parfois les reflets des phares d’en bas dessine une danse lumineuse sur le plafond rectiligne.

    Sois sage ô ma douleur…  La lumière aussi se tait.  …et tiens-toi plus tranquille.

     

    Une sonnette, comme un cri. Des pas résonnent, la peur les précipite.

     

    « Sur une échelle de 1 à 10 où situez-vous la douleur ? » On ne peut partager la douleur, mais la mesurer… ? C’est une belle question qu’on doit apprendre dans les écoles d’infirmières. La jeune femme est sans doute une stagiaire, elle n’aurait plus sur ce beau visage cette lueur de compassion que le métier, l’expérience et le dur labeur vous ôtent à la longue de votre registre d’expression. Le regard dit pourtant l’intérêt et pas seulement la curiosité professionnelle, un rien d’inquiétude qu’elle tente de dissimuler d’un sourire complice. Un luxe merveilleux sur ce visage rayonnant bien plus beau que tous les maquillages sophistiqués.

    J’invente des barreaux supplémentaires à l’échelle des douleurs.

     

    Elle me prend la tension, pas toute, j’en garde un peu, rien que pour moi. Elle voudrait mettre à terre ma tension, elle. Mais c’est moi qui gis, acculé dans les cordes. Je ne vois plus les coups venir. Je les ressens du dedans, en dedans, dedans,

    dedans... dedans…dedans…dedans…dedans…

    Je n’entends plus le gong qui mettrait fin au combat. Où en est-on ? à quel round on en est ?

    Le gong ou le glas ?

     

    On m’antalgique, on m’analgésit, on m’antidolorise.

    Repos, entracte, répit.

    Et le meilleur coup arrive ; elle multiplie les ombres avant de les évanouir, enfin l’aurore point.

     

     

    Hôpital - Intérieur - Nuit12 avril 2017

     

    Réflexion annexe :

     

    On ne peut pas dire que la photo soit géniale, je ne la présenterai pas au concours de la Fédé et elle ne paraîtra pas dans « Openeye » (même si c’est le résultat d’un nuit où je n’ai pas fermé l’œil).

    Elle témoigne de ce j’ai vu et qui a permis la dérive de ma pensée. J’ai pensé, donc je fus (autre chose qu’un tas de souffrance se débattant sur un lit). Dérive, mais pas déroute, j’ai dépassé le stade de la pensée « spasmique » que nous imposent les techniques modernes et les réseaux zoziaux pour construire un corpus cohérent. Je vous confie mes émotions avec toute la retenue nécessaire, on ne va tout de même pas se laisser aller.

     

     

    Autre réflexion secondaire postantalgique.

     

    Quand le temps se fige dans l’instant présent, il prend une dimension d’éternité. On sait qu’on est heureux au moment où on a envie que le temps s’arrête pour prolonger indéfiniment le bonheur qui vous envahit. (la transfiguration suscite une envie de camping paradisiaque « dressons ici trois tentes ») On sait aussi qu’on est malheureux quand on n’a surtout pas envie que le temps s’arrête là. On n’a pas le pouvoir d’arrêter le temps, mais on n’a pas non plus le pouvoir de l’empêcher de s’arrêter quand il l’a décidé. Le sentiment d’éternité est mortel pour un mortel. Malheureusement le plaisir dure généralement moins longtemps que le chagrin (« plaisir d’amour… »).

     

     

    Conclusion utile :

     

    Inutile pourtant de s’inquiéter pour moi, ce petit séjour clinique si désagréable soit-il me libère d’un calcul rénal qui m’empoisonnait l’existence, depuis quelques mois je graviérise. Tout ceci est évidemment de la littérature, du cinéma, de la poésie. Les nuits d’hôpital me plongent soit dans un profond sommeil artificiel, soit dans une agitation cérébrale nécessaire et propice à la sublimation de la douleur, c’est nettement mieux qu’un dafalgan, mais il est vrai pas aussi bien qu’un délire opiacé.

     

    Littérature, disais-je ; mes références culturelles, en ces nuits douloureuses,  remontent comme des bulles. Une petite explication ou explicitation sur l’effervescence d’un bruit de pas d’infirmière dans le couloir. J’ai osé reprendre « la peur les précipite » à Hérédia dans la « fuite des centaures » (n’hésitez pas à le lire ou relire attention, ambiance !) Lui-même emprunte l’expression à Racine dans « Phèdre » acte V .6 où Théramène raconte dans son fameux récit de la mort d’Hippolyte   (pour le lire).

     

    Cinéma, disais-je ; j’ai choisi le titre « Hôpital-Intérieur-Nuit » comme les indications d’un script de scénario. Il s’agit pourtant d’un instantané, d’une image fixe, mais la nuit le temps se fige, l’instant se dilate et dans la solitude peut naître l’angoisse qu’attise par ailleurs la souffrance.

     

    Poésie, disais-je ; réduit à rien, à la seule attention aux résonnances du corps, l’esprit se met à « faire » (« poiein »), combine les mots, recherche l’expression, essaie des rythmes, se laisse surprendre par des références au passé, insulte le présent, s’étonne des lumières et surtout des ombres de la nuit ; c’est dans l’ombre que les mystères prennent de l’éclat. La poésie est un exercice intellectuel, elle essaie pourtant de « faire » du concret, ça peut donc se partager.

     

    Qu’on ne s’inquiète pas, j’étais encore sur la rive et j’avais encore pied, mais comment ne pas craindre pour les jours où il faudra nager dans les courants forts, pour quelles dérives, pour quels rivages… Et comment ne pas se sentir semblable et frère de tous ceux qui vivent cette même aventure dans des conditions bien plus dramatiques (nos hôpitaux sont confortables et ne sont pas bombardés). Vous qui vivez des vendredis qu’on dit « saints » je vous souhaite de beaux dimanches de Pâques.

    en prime : autoportrait à la bétadine.

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