• Claude BATHO les haricots

    Claude Batho

    Les haricots verts

     

    Claue BATHO les haricots

    Analyse réalisée par Jean-Michel MERTZ,dans le cadre d'une séance dans la galerie In Extremis, pour le photo club IMAGORA. 

           Les trois étapes de l'analyse : décrire - comprendre - s'impliquer étaient les règles imposées de la soirée.      

          Publication avec l'aimable autorisation de Madeleine Millot-Durrenberger, pour la photo (Les photos de Claude Batho, extraites de la collection de Madeleine ont été exposées à la galerie In Extremis, à Strasbourg en mars 2014)  et de J-M MERTZ pour le texte

     

    Ce que je vois

     

    Il s’agit d’une photographie monochrome, un tas de haricots est posé en vrac sur un papier d’emballage uniforme qu’on vient d’ouvrir. La photo est prise de haut, légèrement de biais, les haricots forment un triangle dont les angles reposent sur les bords de l’image, aux trois-quarts de chaque côté du rectangle qui forme son cadre. La lumière se projette nord / sud, elle crée du relief, à la fois sur le papier froissé ainsi que dans la masse des légumes empilés par le jeu du contraste noir/blanc. Ce papier froissé présente comme un environnement vallonné, il y a du volume, mais aussi de la légèreté dans cette matière qui offre des pleins et des creux. Le monochrome semble légèrement sépia. Ce tas de haricots occupe les trois-quarts de la surface de l’image, ce qui reste étant laissé au papier d’emballage. L’ensemble repose sur une surface plane que l’on devine sous le papier. La composition est géométrique mais il y a comme une pente de la droite vers la gauche, comme si on s’apprêtait à laisser glisser ce tas dans une casserole ou un autre instrument de cuisine.

     Ce que je comprends

     

    Le thème est d’évidence celui de la nature dite « morte » : des objets que l’on dit « sans vie » sont le sujet de cette catégorie d’œuvres.

     

    Quelqu’un (la photographe ?) vient de défaire l’emballage : il suffisait de le déplier, on ne voit ni ficelle, ni ruban adhésif. Le tas de haricots apparaît dans sa nature originelle : c’est un tas de haricots dont la forme et le volume lui ont été donnés par les mains qui l’ont emballé peu de temps auparavant ; le papier est sec, il est discrètement froissé, on pourra même le réutiliser. Ce sont des haricots frais, bien en chair, longs, gonflés de saveur, on s’attend à les voir bouger ou tomber de la table. Il s’agit à présent de les préparer et de transformer cette nature généreuse en nourriture. Ce qui frappe, c’est l’ordre que dégage cette structure à la fois désordonnée et rigoureuse : on a l’impression que les haricots ont été posés à dessein pour créer cette composition. Ce qui frappe aussi, c’est l’aspect particulièrement « grouillant » de cette composition, que l’on peut facilement, de loin, prendre pour un tas de vers tant l’effet de contraste semble animer cette matière qui, en fait, semble bouger et vibrer.

     Mon interprétation

     

    Pourquoi prendre une photo d’un tas de haricots ? Une nature morte renseigne, en principe, sur une époque, un milieu, un auteur.

     

    Mais cette nature n’est certainement pas « morte ». L’auteure semble vouloir dire deux choses :

     

    -         Cette composition improvisée est une nourriture vivante parce que cette matière est vivante et, pour ainsi dire, joyeuse. Elle évoque les odeurs de cuisine, le plaisir de faire son marché, l’attente de la préparation du repas, une nourriture saine – il se pourrait bien que ce soient là les haricots du jardin fraîchement coupés, dans la bonne saison.

     

    -         Cette composition évoque une nourriture qui lui ferait du bien si elle était capable de l’ingérer : image d’un bienfait perdu que l’évocation des vers rend d’autant plus forte. D’où l’ambigüité de la représentation d’une nature qui est à la fois vivante et morte et qui évoque, clairement, le sort réservé au corps en décomposition, une issue à laquelle Claude Batho ne peut se soustraire. Ces objets grouillants, déposés sur un linceul, prêts à être engloutis ou tout simplement enfermés, sont une métaphore de la vie, de la mort, de l’amour.

     

    On dit de Claude Batho qu’elle a photographié les objets les plus « simples » : on ne peut manquer de se demander ce que c’est qu’un objet « simple ». Pourquoi un tas de haricots serait-il un objet « simple » ? Qu’est-ce que le « simple », qu’est-ce que le « compliqué » ? Qu’est-ce que « l’important » ?

     

    On dit également de Claude Batho qu’elle a photographié des instants insignifiants et immuables, ce que la vie a d’essentiel et de futile. Un plat de haricots peut être, pour le malade, source de torture – donc pas insignifiant du tout – ou prendre une importance capitale. On peut évoquer le plat de lentilles que Jacob a troqué contre la bénédiction du père, Isaïe, prenant ainsi l’ascendant sur son frère Jacob. On peut penser à Caïn et Abel : les deux frères font un sacrifice, l’un offre de la viande, l’autre des légumes, et c’est ce dernier sacrifice qui est agréé par Dieu. Ou alors on peut prendre le pain et le vin, deux objets « simples », « insignifiants » si l’on se préoccupe du jeu de la comparaison entre ce qui est important et ce qui ne l’est pas, et l’on constate que ces deux objets, le pain et le vin, sont en fait les symboles représentants le divin. Sans oublier d’évoquer le « pain quotidien » …

     

    Enfin, on dit des photographies de Claude Batho qu’elles relèvent d’une poésie de l’intime, qu’elles montrent la beauté silencieuse de la vie quotidienne.

     

    C’est certainement au moment où l’on prend conscience que l’on va perdre ces objets-là, objets considérés comme « futiles », qu’ils prennent une importance capitale : on ne peut s’en passer, comme le corps ne peut se passer de sa tête,  ce qui est en rapport avec l’essence même de la vie, la vie dont ces haricots témoignent en même temps qu’ils évoquent la mort – les haricots sont coupés / ils ont la tête coupée - qui est parallèle à la vie.

     

    JMM. 27.03.2014

    Les membres d'Imagora ont ensuite donné libre court à leur imagination

    Claue BATHO les haricots

     

    d'aucuns ont vu dans le papier froissé l'ébauche d'un visage d'homme, créant ainsi un étrange tête à tête 

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